Introduction
L’Âyurveda, ou science de la longue vie, est aujourd’hui le sujet phare de nombreuses revues. Des articles inondent actuellement les journaux et des ouvrages de vulgarisation, de portée variable, sont à disposition sur les rayonnages des libraires. Cette science médicale née en Inde suscitait déjà un intérêt mérité il y a plus de 3000 ans. A cette époque, celui-ci n’était pas apparu suite à un quelconque phénomène de propagation par le soin des médias, tel qu’on le vit en ce début de XXIe siècle, en Inde comme dans le reste du monde, mais répondait à une connaissance et à une sagesse ancestrales transmises de maître à disciple.
Plus qu’une médecine basée exclusivement sur la notion des équilibres et déséquilibres humoraux, il s’agit surtout d’un art de vivre au quotidien, d’une relation juste à la vie. Ainsi, l’Âyurveda insiste particulièrement sur l’adéquation et l’intégration de l’être humain à son environnement. Par conséquent, selon la conception médicale indienne, il est primordial de développer notre connaissance approfondie des liens existants entre les éléments, et en particulier les correspondances des cinq grands éléments (terre, eau, feu, air et éther) avec la constitution même de l’être humain.
Conceptions basées sur le rationalisme philosophique, les principes de l’ancienne doctrine médicale de l’Inde sont à la source de la pensée médicale universelle. L’Inde d’autrefois était pétrie d’interrogations et de réflexions philosohiques. Les médecins âyurvédiques n’échappaient pas au contexte dans lequel ils vivaient et ils cherchaient autant à développer spirituellement leurs partients qu’à soulager leur maladie. Encore à notre époque, ils élaborent non seulement un système de soin à la fois curatif et préventif, mais, en tant que possesseurs d’une connaissance philosophique basée sur les courants à visée spirituelle, ils prodiguent aussi une orientation du comportement psychologique, social et religieux de la personne humaine.
En outre, se souciant de l’harmonie du corps et de l’esprit, par la régulation des trois énergies primordiales (vata, pitta, kapha), l’Âyurveda s’est toujours pratiqué et transmis traditionnellement au sein de lignées familiales jusquà nos jours, même si depuis quelques décennies l’enseignement s’effectue également dans les collèges âyurvédiques.
La clé de la santé
Nous avons vu précédemment que l’Âyurveda considère la relation à l’environnement, tant physique que psychologique, comme la clé de la santé.
Alors que la plupart d’entre nous semblent connaître cette donnée évidente, comment se fait-il que nous tombions malade? La réponse de l’Âyurveda est la suivante: la vie est essentiellement relations et échanges avec notre environnement et ceux-ci s’effectuent par l’intermédiaire du corps (kâya), des sens (indriya), du mental (manas) et de l’Être (âtman). Ils peuvent être excessifs (ati) ou insuffisants (hina), ou encore ne pas correspondre (mithya) à notre nature intrinsèque (svabhâva) dont le tempérament (prakriti) est une des composantes majeures. Quand la relation est juste (samyak) l’équilibre est maintenu, mais quand celle-ci est faussée (mithya), apparaît la maladie.
Au vu de ce qui précède on comprend aisément que la réharmonisation doit être quotidienne, passant par une vigilance de tous les instants.
Dans ce processus, d’aucuns peuvent être arrêtés par quelques difficultés d’ordre intérieur ou se focaliser sur les symptômes. Ces derniers apparaîtront alors sous forme de maladie. Dans les deux cas de figure les médecins âyurvédiques s’adressent à la fois à l’être terrestre et à celui spirituel, nous enjoignant de les harmoniser.
L’adapation : pilier incontournable
La réharmonisation passe par l’adaptation. Art difficile en soi parce qu’exigeant une attention quotidienne sans relâche, l’adaptation permet de prendre soin de soi. Dans cette démarche, les conseils d’un thérapeute compétent peuvent se révéler nécessaires afin de trouver la solution adaptée à chaque situation puisqu’il apparaît clairement que le traitement judicieux sera celui qui correspond au tempérament de chacun.
La constitution, parmi d’autres facteurs, y jouent un rôle majeur car, qu’elle soit de nature aérienne et légère comme l’éther et le vent (vata), ardente comme le feu (pitta) ou fluide et massive comme l’eau et la terre (kapha), elle conditionne les choix de l’individu.
Cependant, l’orientation du traitement pouvant entraîner des effets bénéfiques ou pas, selon les compétences du médecin ayurvédique (vaidya), l’essentiel pour le thérapeute consiste en premier lieu à ne pas aggraver la situation du patient, comme l’indique le famaux Caraka dans son traité (caraka-samhitâ XXIX – 5):
dvividhâstu khalu bhishajo bhavanti agnivesha prânânâmeke abhisarâ hantâro rogânâm rogânâmeke abhisâra hantarâh prânânâm iti
Ô Agnivesha! Certes, de deux sortes sont les médecins. Certains sont compagnons de la vie et détruisent les maux; les autres sont compagnons des maux et détruisent la vie!
Comment éviter la maladie
Pour l’Âyurveda, vivre sans l’observation pointue des phénomènes, dans l’irréalité, est la source des maux dont souffre l’être humain.
Dans notre ignorance de ce qu’est l’état de santé véritable, nous persistons à croire que l’absence de maladies invalidantes à divers degrés en constitue la définition. Dès lors, tant que nous nous estimons en bonne santé, nous ne nous posons pas la question de savoir pourquoi et comment, à un moment ou à un autre, survient un déséquilibre dans notre corps et notre psychisme. L’Âyurveda – littéralement nous pourrions traduire: la connaissance de ce qui soutient notre existence – est non seulement à notre disposition pour nous éclairer lorsque nous avons perdu l’équilibre ou l’homéostasie des tissus, les dhatu (1), mais encore lorsque nous souhaitons anticiper la perte de tout déséquilibre et donc éviter la maladie qui pourrait survenir.
L’Âyurveda souligne l’importance des trois désirs fondamentaux (2) de l’être humain que sont « le désir de vivre » (prânaishanâ), « le désir de prospérité » (dhanaishanâ) et « le désir du paradis dans l’au-delà » (paralokaishanâ). Mais pour l’Ayurveda, l’équilibre réside également dans l’usage modéré et adéquat de ce qu’offre l’existence. Car il importe de rechercher la satisfaction des besoins fondamentaux (les vega) (3), sans toutefois perdre de vue le sens profond de la vie. En effet, la vie est soit trop souvent vécue comme une suite de consommations effrénées (il y a abus matériellement, mentalement, affectivement), soit ressentie comme une foule de dangers, de traques quotidiennes, de restrictions excessives (il y a peur et manque).
L’un des traités de l’Âyurveda, l’Ashtanga hrdaya répond clairement à la question: « comment entrer et se maintenir dans un état de santé globale, exempt de maladies »? L’absence de maladie (aroga) s’obtient tout d’abord en ingérant une nourriture saine et valable qui sert notre bien-être (nityam hita ahâra vihârasevî), en étant un observateur assidu (samîkshyakâra), détaché des objets (vishayeshu asaktah), généreux (dâtâ), d’humeur égale (samah), véridique et authentique (satyaparah), compatissant, indulgent, patient (kshamâvân), respectueux et à l’écoute d’un sage (âpta upasevî).
Ainsi, l’axe forgé par l’état mental orienté d’une part et par le sentiment d’aisance et de liberté retrouvé d’autre part, – grâce à une épuration de ses inhibitions, de ses obturations psychologiques, la purification de ses émotions et par l’assouvissement des trois désirs fondamentaux – mène à la santé, en solide apport, tel le chant harmonieux d’un cœur sans fausse note, sous la houlette de l’Être – la Conscience source.
Article paru dans la revue
de la Fédération Suisse de Yoga
juin/juillet/août 2005
(1) Les tissus constitutifs de l’organisme selon l’Âyurveda sont au nombre de sept: le chyle (rasa), le sang (rakta), les muscles (mamsa), la graisse (medas), les os (asti), le système nerveux et la moelle (majja) et les cellules reproductrices (shukra).
(2) Caraka-samhitâ – sûtra-sthâna – chapitre XI – 3.
(3) L’Âyurveda distingue quatorze vega principaux, tels: la soif, la faim, le besoin d’uriner, d’évacuer, le sommeil, la toux, l’éternuement, l’essoufflement, le bâillement, etc.